Polyptote en beeeep

Avec ma toute petite beeep, j’imagine que tous les autres en ont une grosse. C’est un mécanisme naturel auquel on n’échappe pas. Quelle que soit la petitesse de sa beeep, sitôt qu’elle est petite – ou jugée telle par soi selon un quelconque critère ayant cours dans un coin de sa tête – c’est la plus petite du monde et il faut faire avec. Depuis le début il a fallu faire avec. On est reconnaissant, secrètement, envers les quelques ex qui ont eu la généreuse élégance de ne jamais évoquer cette singularité. On les aime encore pour n’avoir jamais laissé entendre que leur départ avait quoi que ce soit à voir avec cette petite beeep. Quant à celle qu’on a quittée, on est toujours étonné qu’elle n’ait pas appuyé là, là où ça si fait mal, comme elle aurait pu le faire en réagissant, très humainement, en animal blessé.

Avec ma toute petite beeep, attendez, je vous raconte par où passe la saisie intuitive de mon téléphone avant de me forcer à lui imposer « bite », ça vaut son pesant de cacahuètes : bon, bien, bitume, bitcoin, vite, vite, vite, vite, vite, eh oui ça bloque sur « vite » ! Pas moyen d’intuiter bite. Terra Incognita. Gros mot. Donne tes doigts, là, bim sur les doigts ! T’iras dire bite ailleurs. Je veux railler cette pudibonderie d’Apple (américaine, quoi) en écrivant beeep chaque fois que mon téléphone voudrait que j’écrive bien breton bien  bref bon   tout sauf bite.

Avec ma toute petite beeep, il m’arrive de penser aux femmes qui partent en courant, inventant un prétexte ou un autre, à la vue d’une petitesse promesse d’ennui, de fadeur, etc. Je sais qu’elles existent. Ben oui, la taille compte pour nombre d’entre elles, ne serait-ce qu’en tant que fantasme.

Je regarde les autres hommes avec envie. Oui, je leur envie leur grosse beeep, oui, j’imagine ce que serait ma vie avec une beeep comme la leur. Derrière l’idée qu’il n’y a pas plus petite que la mienne se cache (mal) l’évidence que la nature m’a maudit. Salope. Tiens, Apple m’autorise salope.

J’ai des envies de couper des grosses beeep, c’est terrible de devoir me retenir. Je me retiens parce que j’aurais honte, à moins que ce ne soit par crainte d’autres conséquences, judiciaires par exemple. Pas brillantes, mes raisons, quelles qu’elles soient.

Arrivé à ce point de mon soliloque, je vois se dresser au beau milieu de ma page, phénoménal, merveilleux, fabuleux, un phallus aux dimensions gigantesques, le mien. Je suis transi de soulagement : ma beeep n’est plus la plus petite de l’univers, mais bien le contraire.

J’essaie de comprendre quels rouages a mis en œuvre la chaîne de ces quelques mots pour  m’affubler dans un premier temps de la plus petite beeep qui soit puis m’équiper du plus énorme organe de la Terre, mais je ne comprends pas. Je me contente de faire raisonnablement la part des choses en m’attribuant une note médiane : j’ai la beeep la plus moyenne qu’on puisse imaginer, comme je pourrais être le plus grand nain ou le plus petit géant du monde. Je n’ai pas retrouvé ma ligne de jeune homme ni mon ardeur de débutant, mais j’ai perdu l’objet de mon désespoir. Il devrait y avoir un verbe pour dire tout cela à la fois.